En 1982, une équipe de chercheurs sud-africains (Peters 1983) étudia la tendance à développer une infection des voies respiratoires chez des coureurs ayant participé à un ultramarathon de 52km (le Two Oceans Marathon à Cape Town). Résultat : 33% des coureurs sélectionnés au hasard parmi les participants affichaient des symptômes infectieux dans les deux semaines suivant l’épreuve, soit deux fois plus qu’une population contrôle n’y ayant pas participé. Autre fait notoire, les coureurs les plus rapides étaient les plus affectés, tandis que les coureurs les plus lents n’étaient statistiquement pas plus affectés que la population contrôle.
Derrière cette anecdote nous retrouvons une réalité : en excluant les blessures, plus de la moitié des consultations en médecine du sport concerneraient des infections des voies respiratoires (Fricker 1997). Chez certains athlètes, la fréquence de ces infections peut être élevée, s’accompagnant de fatigue et perturbant fortement la capacité à s’entraîner et à performer le jour J. Mais comment expliquer cette sensibilité accrue chez l’athlète ?
Pour répondre à cette question, découvrons ensemble un phénomène théorisé dans la littérature scientifique sous l’expression d’“open window phenomenon”.
L’immunologie de l’exercice
L’immunologie est un domaine extrêmement vaste et complexe, contenant une multitude de branches, dont l’immunologie de l’exercice qui nous intéresse ici. Le chercheur Neil Walsh a rédigé, avec plusieurs confrères immunologistes, un état des lieux des connaissances en la matière dont voici les grandes lignes (Walsh 2011). Pour rappel, nous sommes ici dans le cas d’exercices intenses et/ou prolongés.
Immédiatement après l’exercice, le nombre de lymphocytes T et B circulant dans le sang diminue proportionnellement à l’intensité et à la durée de l’activité, avant de revenir à son niveau initial en moyenne sous 24h. Les cellules Natural Killer, véritables sentinelles du système immunitaire inné, sont également affectées.
Le second mécanisme clé est la diminution de la sécrétion d’anticorps au niveau des muqueuses nasales et surtout buccales. C’est notamment le cas des immunoglobulines A sécrétoires (IgAs), anticorps produits dans la salive et qui constituent, au niveau de la bouche, une des premières lignes de défenses contre les pathogènes
Ces situations d’exercices intenses vont donc entraîner temporairement une altération de l’immunité des muqueuses, de l’immunité inné et de l’immunité adaptative.
Quand la fenêtre s’ouvre… les intrus entrent
L’“open window phenomenon” a été théorisé par le chercheur David Nieman à la fin des années 1990 (Nieman 1997). Il s’agit d’une période de 3h à 24h à la suite d’un exercice intense et/ou prolongé, pendant laquelle les défenses immunitaires de l’athlète sont réduites comme nous venons de le voir. Dans ce contexte d’immunodéficience temporaire, les virus ou bactéries pathogènes auxquelles l’athlète s’expose peuvent alors profiter de cette “fenêtre ouverte”. Le risque d’infection, principalement des voies respiratoires, est alors temporairement augmenté. Il s’agit en général de rhinovirus (responsable de la rhinopharyngite), des virus influenzae A et B (grippe), ou encore de réactivation du virus d’Epstein-Barr (mononucléose).
Si la notion d’exercice intense est assez subjective, toute la difficulté réside donc dans son évaluation en fonction du niveau de l’athlète et du contexte d’exécution. Il peut classiquement s’agir d’une compétition dans laquelle l’athlète va se donner à son maximum, d’un entraînement particulièrement intense ou long, ou encore d’un bloc d’entraînement au cours duquel une grosse charge va être totalisée sur quelques jours.
L’importance du contexte
Au-delà du stress physiologique et métabolique que l’exercice va provoquer en tant que tel, d’autres facteurs inhérents à l’athlète et à son environnement vont moduler les risques, et seront à prendre en compte impérativement. Il s’agit notamment de :
- La génétique.
- L’alimentation et la balance énergétique.
- Le statut micronutritionnel.
- La perte de poids mal gérée et/ou excessive.
- Le stress psychologique.
- La qualité du sommeil.
- La température et l’altitude.
- Le jet lag (en cas de compétition ou séjour à l’étranger).
- Les allergènes et irritants de l’air (pollution, pollens…).
- L’intégrité de la muqueuse intestinale.
- L’hygiène bucco-dentaire.
- Etc.
Enfin, la présence d’une inflammation de bas grade et d’un stress oxydatif chronique, découlant classiquement des facteurs cités précédemment ainsi que d’une mauvaise gestion de la charge d’entraînement, constitue un facteur de risque majeur.
Nous comprenons donc que le simple facteur intensité/durée ne suffit pas à évaluer le niveau de risque. Une séance de qualité classique, sans surcharge apparente, pourra ainsi s’avérer problématique en fonction du contexte de l’athlète et inversement une séance très intense ne posera pas de problème chez un athlète parfaitement équilibré. Prenons un exemple pour illustrer cela.
Deux athlètes participent à un camp d’entraînement en altitude en espérant en tirer des bénéfices physiologiques. Le premier présente un fond d’inflammation observé sur une prise de sang, et subit une pression excessive de son entraîneur ces dernières semaines, qui lui pèse moralement. Le second bénéficie à l’inverse d’un environnement d’entraînement serein, arrive parfaitement reposé, et la biologie réalisée en amont ne présente pas d’anomalies importantes. Pour le même programme d’entraînement, le premier athlète risquera d’aggraver son inflammation, de tomber malade ou même de se blesser, et ne tirera donc aucun bénéfice du séjour. Inversement, le second passera le séjour sans encombres et bénéficiera peut-être du fameux surplus de globules rouges tant espéré.
Cette notion de contexte est donc au moins aussi importante que l’exercice en soit, si ce n’est plus.
Attention à la balance énergétique
Nous l’avons expliqué précédemment, au-delà de la simple charge de travail, de nombreux facteurs inhérents à l’athlète et à son environnement vont entrer dans l’équation et participer au risque d’immunodéficience. Parmi eux, un mérite d’être cité afin d’alerter sur une pratique très répandue (parfois inconsciemment) tant chez l’athlète amateur que chez l’athlète élite : le déficit énergétique et la perte de poids incontrôlée.
Pour illustrer cela, citons les travaux d’une équipe de recherche finlandaise qui a étudié les effets de la perte de poids sur l’immunité chez l’athlète normo-pondérée (Sarin 2019). Dans cette étude, 42 athlètes féminines avec un poids jugé normal ont été réparties en deux groupes :
- Un groupe avec une restriction énergétique et une augmentation de la charge d’entraînement afin de créer une perte de poids.
- Un groupe qui a conservé son alimentation et son entraînement habituel.
Au bout de 6 mois, les paramètres immunitaires du groupe en restriction étaient significativement altérés par rapport au groupe contrôle. Précisons que la perte de poids était en moyenne de 8 kg, soit environ 12% du poids corporel initial. Ces paramètres revenaient ensuite à la normale après 5 mois de reprise de poids.Cette étude nous montre donc bien l’importance sur le plan immunitaire d’un apport énergétique adapté à la charge d’entraînement de l’athlète. Ce dernier veillera par ailleurs à modérer toute volonté de perte de poids en étant objectif et raisonnable quant à son poids de forme optimal. Les sports d’endurance et de combat sont particulièrement concernés par cette alerte.
Les bienfaits de l’exercice régulier et modéré
Il est essentiel, pour éviter toute confusion, de préciser qu’un exercice régulier et modéré – dans son intensité et sa durée – offre inversement des effets bénéfiques certains sur l’immunité, l’inflammation et la protection contre les tumeurs (Simpson 2020). Un des mécanismes clé repose sur la mobilisation des cellules immunitaires au cours de l’exercice, qui migrent de la circulation sanguine vers les tissus périphériques (poumons, muscles, rate…) participant ainsi à l’immunosurveillance (Adams 2011).
Certains chercheurs parlent d’ailleurs d’une courbe en J pour schématiser le lien entre exercice et immunité (Nieman 1994).
En pratique, comment se protéger ?
L’objectif pour l’athlète sera de se prémunir le mieux possible de ce phénomène.
Tout au long de la saison, il essaiera d’optimiser les facteurs influençant directement son immunité :
- Charge d’entraînement : respecter le principe de progressivité, éviter de positionner les séances les plus intenses sur des journées de la semaine déjà stressantes (travail, transport…), veiller au respect de phases de récupération avec notamment la journée de repos complet (ni travail, ni entraînement).
- Statut micronutritionnel : bilan sanguin annuel voir bi-annuel pour les marqueurs à risque et supplémentation appropriée. Veiller notamment au fer, au zinc, à la vitamine D, au magnésium, au sélénium… et bien d’autres.
- Apports énergétiques : garantir un apport énergétique suffisant et surveiller une à deux fois par mois que votre poids reste stable. En cas de nécessité de perte de poids, faire en sorte d’arriver au poids de forme bien avant la période compétitive, en veillant à exclure à tout prix les variations trop importantes.
- Glucides à l’effort : en dehors des protocoles d’entraînements spécifiques à glycogène bas (le fameux sleep low), assurer un apport suffisant de glucides au cours des séances intenses et/ou prolongées (de 30 à 60 g/h de glucides sous forme de maltodextrine BIO sans additifs). Il semble en effet plus intéressant d’apporter des glucides pendant l’effort pour minimiser les perturbations immunitaires, plutôt que d’augmenter ses apports quotidiens totaux (Bermon 2017).
- Autres : sommeil, stress, respiration, hygiène bucco-dentaire, intégrité de la muqueuse intestinale, microbiote à l’équilibre, etc.
De quelques semaines à quelques jours avant une épreuve / un objectif majeur :
- Adopter des mesures d’hygiène et de distanciation appropriées afin de limiter le risque d’infections qui compromettrait la performance le jour J.
- Se couvrir la bouche et le nez en cas d’entraînement dans le froid.
- Avoir recours à une supplémentation prophylactique personnalisée.
- Éviter les restrictions caloriques, certains athlètes cherchant parfois à perdre dans la dernière ligne droite de leur préparation 1 ou 2 kg jugés superflus. Mais à quel risque pour l’immunité et l’état de forme général ?
Directement après l’épreuve et dans les 2-3 jours qui suivent :
- Éviter les situations exposant à un risque d’infection.
- Assurer un apport énergétique suffisant, sans se priver, tout en veillant à la qualité.
- Respecter plusieurs jours de repos complet, en privilégiant le sommeil et les soins (massages, sauna, mobilisations articulaires, nutrition…).
- Être attentif aux premiers signes d’infections, souvent légers les premières heures, mais dont la détection précoce permettra de mettre en place immédiatement un protocole défini à l’avance dans le but d’en réduire la durée et l’intensité.
Un tel protocole aura été défini en amont avec un professionnel de santé, et aura notamment pour base une supplémentation supra-physiologique en vitamine C sous forme d’ascorbate, et en zinc sous forme chélatée. A ce titre, il peut être tout à fait pertinent pour un athlète d’avoir à portée de main – en cas de besoin – un pot de poudre d’ascorbate de magnésium et de gélules de bisglycinate de zinc.
Bien sûr, ces conseils sont tout sauf exhaustifs et ne remplacent pas un suivi de qualité par un professionnel formé à la nutrition, la physionutrition et l’approche fonctionnelle de la santé.
Dans la pratique, je propose à mes patients athlètes un programme global, que l’on pourrait qualifier d’holistique, apportant des recommandations personnalisées sur tous les facteurs évoqués dans cet article : nutrition au quotidien et à l’effort, micronutrition, gestion du stress, sommeil, respiration, pollution environnementale, stratégies de récupération et de prévention des blessures, etc.
Sources
Adams 2011 Brain, Behavior and Immunity – Exercise and leukocyte interchange among central circulation, lung, spleen, and muscle.
Bermon 2017 Immunonutrition and Exercice – Consensus Statement: Immunonutrition and Exercise
Chamorro-Viña 2014 The Active Female – Excessive Exercise and Immunity: The J-Shaped Curve.
Fricker 1997 Medical Problems in Athletes – Infectious problems in athletes: an overview.
Nieman 1994 International Journal of Sports Medicine – Exercise, infection, and immunity.
Nieman 1997 Journal of Athletic Training – Risk of upper respiratory tract infection in athletes: an epidemiologic and immunologic perspective
Peters 1983 The South African Medical Journal – Ultramarathon running and upper respiratory tract infections. An epidemiological survey
Peters 2004 The South African Medical Journal – Postrace upper respiratory tract ‘infections’ in ultramarathoners—Infection, allergy or inflammation?
Sarin 2019 Frontiers in Immunology – Molecular Pathways Mediating Immunosuppression in Response to Prolonged Intensive Physical Training, Low-Energy Availability, and Intensive Weight Loss.
Simpson 2020 Exercise Immunology Review – Can exercise affect immune function to increase susceptibility to infection?
Von Ah Morano 2019 Journal of Cellular Physiology – The role of glucose homeostasis on immune function in response to exercise: The impact of low or higher energetic conditions.
Walsh 2011 Exercise Immunology Review – Position statement. Part one: Immune function and exercise.
Walsh 2011 Exercise Immunology Review – Position statement. Part two: maintaining immune health.