La cannelle est une épice employée depuis des siècles en médecine traditionnelle. Elle est aujourd’hui très étudiée et de nombreuses vertus lui sont attribuées, notamment sa capacité à réguler la glycémie. Je vous propose de nous y pencher en détail, dans un article au doux parfum de pain d’épices.
Avant tout, quelle cannelle choisir ?
Il existe deux catégories de cannelles :
- La cannelle de Ceylan (Cinnamomum Zeylanicum).
- La cannelle Cassia (Cinnamomum Aromaticum).
Entre les deux, c’est le jour et la nuit, la cannelle de Ceylan l’emportant par KO !
Premièrement, la cannelle de Ceylan est plus riche en antioxydants et en composés bioactifs que la cannelle Cassia. Il s’agit essentiellement de deux molécules, le cinnamaldéhyde et l’eugénol, toutes deux impliquées dans bon nombre des propriétés bénéfiques de la cannelle.
Deuxièmement, la cannelle Cassia présente une teneur très élevée en une molécule toxique : la coumarine. Celle-ci est carcinogène, toxique pour le foie, et fortement anticoagulante. Un seuil de toxicité a d’ailleurs été fixé par l’Association Européenne de Sécurité Alimentaire (EFSA). Or, avec les doses de poudre de cannelle requises pour obtenir les bénéfices que nous verrons plus loin, ce seuil de toxicité est largement dépassé avec la cannelle Cassia (Abraham 2010). En revanche, la cannelle de Ceylan en est pratiquement dépourvue et ne présente donc pas de risque (BfR 2006).
Que ce soit à but thérapeutique ou pour un simple usage culinaire, il est donc essentiel de sélectionner une cannelle de Ceylan véritable et certifiée, issue de l’agriculture biologique, et d’exclure totalement la cannelle Cassia. Si l’origine botanique de Ceylan n’est pas précisée par le fabricant, considérez par principe de précaution qu’il s’agit d’une cannelle Cassia (moins chère et donc majoritairement employée par les industriels). En cas d’utilisation sous forme de gélule, ce qui est tout à fait envisageable, il faudra de la même manière vérifier auprès du fabricant que le produit est garanti sans coumarine.
A titre indicatif, la dose journalière tolérable fixée par l’EFSA est atteinte dès 2 cuillères à café de cannelle Cassia. Attention également aux huiles essentielles qui, par leur forte concentration, sont encore plus problématiques et dangereuses.
Une épice aux nombreuses propriétés médicinales
De nombreuses études in vitro (sur des cellules isolées) et in vivo (chez l’animal, le plus souvent des souris) ont été réalisées ces dernières décennies pour tester les propriétés diverses de la cannelle.
Afin d’y voir plus clair, une équipe de recherche indienne a publié dans le British Medical Journal une large revue systématique synthétisant les résultats de 70 études (Ranasinghe 2013).
Les propriétés les plus solidement démontrées sont les suivantes :
- Une activité anti-microbienne et anti-parasitaire.
- Une activité régulatrice de la glycémie, de la pression artérielle et du cholestérol sanguin.
- Une activité anti-oxydante.
- Une activité inhibitrice de la formation et de l’agrégation des protéines tau (principale facteur de la maladie d’Alzheimer).
- Une activité anti-inflammatoire et anti-douleur.
Aucune toxicité n’a été observée dans ces études réalisées avec de la cannelle de Ceylan.
Toutefois, nous parlons ici d’études in vitro et in vivo et non directement chez l’Homme. Voyons donc à présent parmi ces propriétés lesquelles ont été testées avec succès chez des sujets humains.
Amélioration du métabolisme glucidique dans le prédiabète et le diabète de type 2
L’effet bénéfique de la cannelle sur la glycémie repose sur plusieurs mécanismes (Ranasinghe 2012) :
- Une réduction de l’absorption intestinale du glucose par l’inhibition d’enzymes digérant les sucres.
- Une augmentation de la captation cellulaire du glucose sanguin.
- Une stimulation de la synthèse du glycogène à partir du glucose sanguin.
- Une amélioration de la production d’insuline et de l’efficacité de ses récepteurs.
- Une inhibition de la néoglucogenèse (synthèse endogène du glucose, qui augmente donc la glycémie).
En 2024 une équipe de chercheurs iraniens a réalisé une méta-analyse de 24 essais randomisés portant sur la supplémentation en cannelle chez des patients diabétiques de type 2 (Moridpour 2024). Ils en ont conclu que la supplémentation en cannelle permettait une réduction significative de la glycémie à jeun et de l’HbA1C. Pour rappel, l’HbA1C – que l’on appelle l’hémoglobine glycosylée – correspond à la moyenne de la glycémie 24h/24 sur les 3 derniers mois. C’est donc un marqueur particulièrement intéressant en suivi ou en prévention du diabète.
Cette conclusion a été confirmée par d’autres méta-analyses récentes (Allen 2013, Lais de Moura 2024, Garza 2024), avec des amélioration moyennes de -25 mg/dL pour la glycémie à jeun et -0,2 % pour l’HbA1C.
Quant à la dose, elle est variable selon les études, mais il semblerait qu’une dose de 1 à 2 g/j serait la plus adaptée. A trop forte dose, certaines études ont d’ailleurs montré une perte paradoxale de ces bénéfices (Yu 2023).
La cannelle présente donc un intérêt thérapeutique dans le cadre du diabète de type 2, et plus largement dans sa prévention chez le pré-diabétique ou le patient s’en approchant.
Amélioration du poids et du profil lipidique
Dans une méta-analyse portant sur 10 essais randomisés contrôlés chez des patients diabétiques de type 2 (total de 543 patients), le chercheur Robert Allen est arrivé à la conclusion que la supplémentation en cannelle s’accompagnait d’une baisse du cholestérol LDL, du cholestérol total et des triglycérides, ainsi que d’une augmentation du cholestérol HDL (Allen 2013). Ces résultats ont été confirmés dans une méta-analyse beaucoup plus récente (Yu 2023).
En ce qui concerne le poids, une équipe iranienne a réalisé en 2022 une méta-analyse parapluie sur le sujet (Keramati 2022). Une méta-analyse dite parapluie est une méta-analyse portant sur l’ensemble des méta-analyses existantes sur un sujet. Il s’agit donc d’un type d’étude particulièrement puissant. Sur la base des résultats de sept méta-analyses, les chercheurs ont conclu que la supplémentation en cannelle permettait une perte significative du poids corporel, mais relativement faible malgré tout, avec -0,67 kg en moyenne. L’effet sur le tour de taille est en revanche moins significatif.
Ces résultats soulignent donc l’intérêt de la cannelle dans l’amélioration des marqueurs cardiométaboliques. L’effet sur le poids est quant à lui, soyons honnête, nettement moins intéressant. Toutefois attention, il ne s’agit pas là d’un remède miracle, mais d’une aide supplémentaire dans le répertoire du praticien, en complément d’une prise en charge beaucoup plus globale.
Dysménorrhée
Les douleurs menstruelles (crampes, spasmes… souvent liées à une hypercontractilité de l’utérus) peuvent concerner jusqu’à 75% des femmes et sont très handicapantes au quotidien. Les traitements actuels, essentiellement des anti-inflammatoires non stéroïdiens, sont susceptibles de présenter des effets secondaires problématiques, notamment digestifs. Plusieurs équipes ont donc cherché à savoir si la cannelle pouvait aider à soulager ces maux. Une méta-analyse a regroupé les résultats de 9 essais randomisés contrôlés pour un total de 647 patientes. L’intensité et la durée des douleurs se trouvaient significativement diminuées dans les groupes supplémentés par rapport aux groupes placebo. La dose variait entre 420mg et 1g de cannelle en poudre, 3 fois par jour.
D’autres études sont nécessaires pour confirmer ces résultats, mais il s’agit là d’une piste intéressante, et à tester sans risque.
Pathologies neurodégénératives
Une revue systématique a cherché à étudier l’intérêt de la cannelle pour la protection de la fonction cognitive et notamment la mémoire (Nakhaee 2024). Les chercheurs en ont conclu que la cannelle était effectivement bénéfique à ce niveau. Ce potentiel neuroprotecteur repose sur plusieurs mécanismes :
- Ses propriétés antioxydantes qui aident à réduire et contrôler le stress oxydatif. Le tissu cérébral est en effet particulièrement sensible aux attaques des radicaux libres, les dommages causés par ces derniers ayant un rôle majeur dans le développement des maladies neurodégénératives, dont Alzheimer.
- Sa capacité à inhiber l’action destructrice des plaques amyloïdes sur les neurones.
- Ses propriétés anti-inflammatoires. La maladie d’Alzheimer est en effet fréquemment associée à de l’inflammation, qui participe à la dégradation des neurones.
- Son potentiel inducteur du facteur BDNF (Brain Derived Neurotrophic Factor), un facteur de croissance clé dans le développement et le bon fonctionnement des neurones et des synapses (ces fentes à travers lesquelles les neurones s’envoient des signaux).
- Son action régulatrice de la glycémie, la maladie d’Alzheimer étant souvent surnommée “Diabète de type 3” en échos aux dommages causés par l’excès de glucose circulant sur les neurones. Ce mécanisme s’appelle la glycation, ou de manière très imagée la “caramélisation du cerveau”.
A nouveau, d’autres études sont nécessaires pour valider ces résultats encourageants. Mais ce dernier exemple nous montre bien tout le potentiel santé de cette épice.
En pratique
La cannelle présente donc plusieurs intérêts thérapeutiques, en premier lieu la régulation de la glycémie, propriété la plus étudiée. Ces bénéfices semblent être obtenus dès 1 à 2 g/jour de cannelle en poudre, soit entre une demie et une cuillère à café. Cette dose est donc facilement intégrable dans une tisane, sur un laitage fermenté, sur un fruit en dessert, ou même dans un plat.
Il faudra toutefois veiller à bien sélectionner de la cannelle de Ceylan certifiée, issue de l’agriculture biologique. Pour une prise sous forme de gélules, assurez-vous que la gélule ne contient aucun ingrédient autre que la poudre de cannelle, et que le laboratoire vous garantit l’absence de coumarine.
A titre personnel, j’inclus régulièrement la cannelle dans les programmes de mes patients. D’une manière générale, j’encourage une utilisation quotidienne des épices (sauf les poivre et piments qui altèrent la muqueuse intestinale) qui vous apporteront une large diversité de fibres, polyphénols et composés bioactifs d’intérêts. Un geste santé aussi simple que délicieux !
Sources
Abraham 2010 Molecular Nutrition and Food Research – Toxicology and risk assessment of coumarin: focus on human data.
Allen 2013 Annals of Family Medicine – Cinnamon Use in Type 2 Diabetes: An Updated Systematic Review and Meta-Analysis.
Anses 2021 – Avis relatif à « l’évaluation du risque d’hépatotoxicité lié à la teneur en coumarine de
certaines plantes pouvant être consommées dans les compléments
alimentaires ou dans d’autres denrées alimentaires. »
Bundesinstitut für Risikobewertung 2006 – High daily intakes of cinnamon: health risk cannot be ruled out.
Garza 2024 Nutrients – Effect of Aromatic Herbs and Spices Present in the Mediterranean Diet on the Glycemic Profile in Type 2 Diabetes Subjects: A Systematic Review and Meta-Analysis
Keramati 2022 Journal of Food Biochemistry – Cinnamon, an effective anti-obesity agent: Evidence from an umbrella meta-analysis.
Lais de Moura 2024 Nutrition Reviews – Effects of cinnamon supplementation on metabolic biomarkers in individuals with type 2 diabetes: a systematic review and meta-analysis
Moridpour 2024 Phytotherapy Research – The effect of cinnamon supplementation on glycemic control in patients with type 2 diabetes mellitus: An updated systematic review and dose-response meta-analysis of randomized controlled trials.
Nakhaee 2024 Nutritional Neuroscience – Cinnamon and cognitive function: a systematic review of preclinical and clinical studies.
Ranasinghe 2012 Diabetic Medicine – Efficacy and safety of ‘true’ cinnamon (Cinnamomum zeylanicum) as a pharmaceutical agent in diabetes: a systematic review and meta-analysis.
Ranasinghe 2013 British Medical Journal – Medicinal properties of ‘true’ cinnamon (Cinnamomum zeylanicum): a systematic review
Xiaomei 2024 Obstetrics & Gynecology and Reproductive Biology – Effect of cinnamon as a Chinese herbal medicine on markers of cardiovascular risk in women with polycystic ovary syndrome: A systematic review and meta-analysis of randomized controlled trials
Yu 2023 Nutrients – The Effect of Cinnamon on Glycolipid Metabolism: A Dose–Response Meta-Analysis of Randomized Controlled Trials.